Kayla les vit arriver. Elle était en train de servir un client, il avait commandé une part de gâteau aux carottes accompagné d’un expresso. Elle l’avait servi en lui suggérant d’un ton pressant de prendre le tout pour apporter. Pour pardonner ses manières… expéditives, elle avait ajouté un petit supplément de crème. Sur le coup, son client n’avait pas compris, mais après avoir suivi le regard de Kayla, il avait saisi sa commande et avait franchi la porte sans tarder. Ce qu’il avait vu, c’était deux hommes en complets qui se dirigeaient vers le café. Ils avaient l’air de deux hommes d’affaires prospères dans leurs vêtements sur mesures. Sous leurs airs sérieux et snobinards, se cachaient des hommes cruels. Kayla savait ce qu’ils venaient chercher. Avisant son employée qui avait été témoin de la scène, Kayla lui fit signe de se réfugier dans la cuisine, ce qu’elle fit presque aussitôt. Les deux hommes passèrent la porte et la propriétaire du petit café plaqua son plus beau sourire sur ses lèvres. Connaissant les habitudes de ses «clients», Kayla les invita à prendre place tout en préparant leurs commandes habituelles. Une fois qu’ils furent servis, Kayla ouvrit le tiroir-caisse et en sortit l’enveloppe qu’elle avait préparée à leur attention, se disant qu’ainsi, ils repartiraient plus vite. Elle savait qu’ils viendraient se faire payer ce jour-là, elle s’était donc préparée en conséquence.

Tout avait commencé trois ans plus tôt. Le café de Kayla était ouvert depuis six mois à peine quand deux hommes étaient débarqués pour lui faire une offre qu’elle ne pouvait refuser. En échange de mille dollars par mois, Kayla et son commerce seraient protégés en tout temps, personne ne viendrait l’embêter. Si elle refusait de payer ou si elle était en retard dans ses paiements – ils ne doutaient pas qu’elle accepterait – ils se feraient un plaisir de se payer eux-mêmes. Bien sûr, la jeune femme aurait vraiment voulu refuser et leur tenir tête, mais à quoi bon? Soit elle payait, soit son commerce partait en fumée ou pire, sa vie serait menacée. Est-ce que c’en valait vraiment le coup? Non. Elle avait travaillé trop dur pour voir son rêve disparaître ainsi. Et puis, même si elle était honnête, Kayla n’était pas sans savoir que les forces de l’ordre étaient impuissantes face aux gangs de rue, à la mafia... Sans compter que grâce à cette «assurance», elle avait plus de clients. Donc plus de profits et la possibilité de garder son affaire à flots. Sans compter la chance de pouvoir envoyer son fils dans une bonne école. Bref, au final, elle savait ce qui était le mieux pour elle.

Toujours avec son grand sourire, Kayla prit un sac et y glissa l’enveloppe pleine d’argent ainsi que les pâtisseries qu’ils aimaient avant de tendre le sac à celui qui semblait être le patron du tandem. Le plus drôle dans tout ça, ce fut quand ils la remercièrent et quittèrent l’établissement en lui souhaitant de «passer une bonne journée!».


Le soir même, le sénateur Carter était dans son luxueux bureau du centre-ville. Il n’en menait pas large. La mine sombre et la tête entre les mains, il se traitait mentalement d’idiot. Il l’avait su, dès qu’il avait reçu cette invitation. Il s’était rendu dans ce restaurant, ils avaient discuté de tout et de rien. Il n’avait pas eu envie de cette association et juste le fait que cet homme n’ait pas dit mot sur son refus aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Naïf, voilà ce qu’il avait été. Il avait accepté une sortie amicale, il avait accepté les cadeaux et surtout, surtout, il avait accepté ces deux filles en cadeaux. Il avait été avec elles dans cette chambre, avait eu des rapports sexuels avec elles... Maintenant, il payait le prix de sa bêtise. De son immense bêtise. Il détruisit dans la déchiqueteuse les photos infâmes qui avaient été prises à son insu dans la chambre ou encore lorsqu’il acceptait les «cadeaux» qu’on lui offrait. Avait-il le choix de refuser? Bien sûr, mais comment pourrait-il poursuivre sa vie? Sa carrière serait terminée et sa famille éclaterait complètement à cause du scandale. Il ne voulait pas que ça se produise, il avait travaillé si fort pour avoir tout ce dont il avait toujours rêvé. Il n’allait pas laisser une organisation criminelle lui ravir le tout. Il allait faire tout ce qu’il pouvait pour les aider. Et ce, même si ça le répugnait. Quoiqu’à bien y penser, ça ne le dégoûtait pas autant que de voir sa vie ruinée par un scandale…


Le lendemain matin, le maire Stevens fit un point de presse. Il annonça à tous que les effectifs des forces de l’ordre seraient augmentés dans les prochaines semaines. Il ajouta que le personnel de l’hôpital allait lui aussi voir le nombre d’employés augmenter. Le but de tout cela étant bien sûr d’enrayer le crime et de permettre de soigner les gens le plus rapidement possible. Évidemment, il ne put s’empêcher de mentionner qu’il était grand temps de remettre la mafia à sa place: en prison. Il leur assura que ce n’était plus qu’une question de temps. Son annonce n’avait pas fait l’unanimité, loin de là. Si certains applaudissaient à tout rompre, pour d’autres c’était déclarer la guerre à la mafia. Une telle guerre ne ferait qu’encore plus de dégâts.

Un peu plus loin, se trouvait l’assistant du maire, Carl Peterson. Celui-ci avait encouragé le plan du maire, l’avait poussé à déclarer la guerre à la mafia. Il connaissait tous les détails et avait tout approuvé. Et pendant que le maire faisait son point de presse, lui, il composait un numéro et portait son téléphone à son oreille.

- L’annonce est faite.

A l’autre bout du fil se trouvait l’un des bras droits de celui que l’on appelait le «Parrain», celui qui était à la tête de la mafia de Philadelphie. Comme le maire était un de ces hommes que l’on ne pouvait corrompre, on avait jugé bon de faire embaucher un assistant qui pourrait le surveiller, le conseiller. Et c’était à un Peterson ravi qu’on avait confié ce boulot. Ambitieux, il voulait devenir Maire et ensuite… pourquoi pas la Maison Blanche?


La mafia était une organisation grandiose, la tête dirigeante était forte. Il avait imaginé un plan tout à fait diabolique. Eh oui, il avait fait en sorte que les gangs de rue s’entretuent en pensant que l’autre gang était coupable d’avoir tué les leurs. Ils ont ainsi éliminé tous ces petits écervelés qui ne servaient à rien. Maintenant, ils avaient le contrôle des commerces, dont ils assuraient la protection, le contrôle de la drogue et des prostituées de Philadelphie. Ils avaient également mis la main sur plusieurs gros contrats de la ville. Eh oui, car ils possédaient des compagnies de constructions, d’architecture, de décoration… ils avaient la bosse des affaires. Ils étaient partout et le plan du maire n’allait rien y changer. Il augmentait les effectifs de la ville? Parfait, il y aurait plus de monde à corrompre. Tous ces petits flics avaient des points faibles, ils arriveraient bien à les trouver et à en tirer parti…